CHÂTEAU REYNON by Denis Dubourdieu
« Un vigneron est un créateur de beauté »
La propriété fut créée au XVème siècle par Jean de La Roque, sous le nom de Château de Béguey.
Au cours du XVIIIème siècle le Château passe aux mains de la famille « Carle de Trajet ». Famille qui ne restera que peu de temps à la tête de cette propriété. La Révolution Française produisant ses effets la famille émigra et la propriété fut déclarée « bien national ». En effet suite au changement de régime et à la période de trouble que cela a causé, les biens de la noblesse et du clergé furent saisis puis vendus pour résoudre la crise financière générée par la Révolution.
La propriété fut donc vendue par l’Etat et rachetée par la famille Laspeyrère. Vers 1850 elle rasera l’ancienne demeure pour y édifier la bâtisse actuelle. Elle en profitera même pour changer le nom du vignoble de Château de Béguey en Château Peyrat
En 1958 elle fut rachetée par Jacques David (père de la femme de Denis Dubourdieu). La propriété était alors dans un très mauvais état autant au niveau des bâtiments que du vignoble.
Denis Dubourdieu arriva à Château Reynon en 1976. Il entreprend la replantation de la vigne et la restauration de l’outil de production. Au final, en 37 ans de présence sur cette propriété il a replanté la quasi totalité du vignoble, constitué aujourd’hui d’un tiers de blanc et deux tiers de rouge
Comment êtes vous arrivés au monde du vin ?
C’est avant tout familial. Denis Dubourdieu est né au Château de Doisy-Daëne (2nd Grand Cru Classé de Sauternes) en 1949. Il est issu d’une famille de vignerons présents dans la région des Graves / Barsac depuis le 18ème siècle.
« Tombé dedans étant tout petit », aimant la biologie, les sciences et la vie à la campagne c’est tout naturellement qu’il se dirigea vers l’œnologie/la viticulture.
Ce qu’il aime dans ce métier c’est « l’association d’une vision artistique du monde au travail d’un fruit de la terre…un vigneron crée de la beauté. Un peu comme un cuisinier». Dans ce métier le vigneron « crée un cru, le fait évoluer en dépassant l’œuvre d’une génération, en prolongeant le travail de ses parents ». Quelle belle présentation du vigneron ! Et comme vous l’aurez surement compris il n’est pas simplement un passionné du monde du vin mais aussi d’art (musique, littérature).
Aujourd’hui Denis Dubourdieu possède 5 propriétés (Château Doisy-Daëne, Clos Floridène, Chateau Cantegril, Chateau Haura) et conseille plus de 70 domaines à travers le monde. Il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de la vinification et de l’élevage des vins blancs.
Selon vous qu’est ce qu’un vin parfait ?
Un vin ne peut pas être parfait pour tout le monde. La dégustation est un art très subjectif, cela dépend des sensibilités de chacun.
« Pour moi, le vin parfait doit être délicieux et unique, inimitable, c’est-à-dire marqué par le génie du lieu. (C’est une chose « banale » à dire mais pas facile à faire). La nature ne peut pas faire ce travail seule ; il faut que le vigneron vinificateur ait une certaine vision de la beauté du vin qui ne peut être obtenue que dans ce lieu ». Cela fait appel à sa sensibilité autant qu’à son savoir faire. Il ne suffit pas de sentir confusément ce que la vigne associée à un lieu peut faire, il faut aider à ce que cela se fasse.
Il faut aussi savoir éviter les défauts pouvant cacher ou altérer l’expression du terroir.
« A mon sens, un vin parfait est celui qui exprime dans la pureté, le génie du lieu qui le rend si délectable ».
Une bouteille de vin est source de convivialité, d’instant de bonheur. « Par le vin on offre des moments heureux. On produit 550.000 bouteilles sur nos propriétés. Si chaque bouteille est dégustée par quatre personnes alors cela fait 2,2 millions d’instants bonheur ».
A quoi reconnaît-on les vins de votre propriété ?
« Il faut guider la nature vers là où on veut qu’elle aille mais en intervenant le moins possible »
Denis Dubourdieu recherche, en plus de faire « ressortir le génie du lieu », la pureté du vin. Mais également une certaine complexité du vin, complexité qui n’est pas de la complication. Cet épicurien, amoureux du vin et de la gastronomie se plait à dire qu’un vin est bien réussi lorsque « les mots nous manque pour le décrire quand on le goûte ».
« L’art doit cacher l’art ; comme disait Ingres, la touche du peintre (ici du vigneron) ne doit pas être excessivement perceptible au risque de dénoncer la main et de trahir l’esprit ». Il ne faut pas que lors de la dégustation on puisse deviner comment le vin est fait ou même que l’on se pose la question. Il faut au contraire profiter de ce moment beauté et de bonté qu’offre la dégustation d’un vin délicieux.
« Mes vins sont d’abord conçus pour être bus et non pour être seulement dégustés et notés. Les vins faits pour être notés et crachés, doivent impressionner le dégustateur et écraser leurs concurrents, plus par leur puissance que par leur finesse. Ce ne sont pas forcément les plus buvables. A force de faire du vin conçu pour être craché et non pour être bu, il ne faut pas s’étonner qu’on en boive de moins en moins ».
Côté anecdote:
Denis Dubourdieu n’est pas seulement passionné par le monde du vin, il l’est également par la voile hauturière qu’il pratique depuis longtemps.
L’anecdote de la semaine a pour cadre une sortie en voilier dans le Golfe de Gascogne. Accompagné d’amis, Denis Dubourdieu naviguait d’Arcachon à Santander. La météo annonçait l’arrivée d’une dépression accompagnée d’un vent du Sud. Au petit matin, alors qu’il était de quart, il ressentit, en pleine mer, une forte odeur de Sauvignon un peu végétal, aux nuances de buis et de genêt. Croyant être victime d’une illusion olfactive, voir même d’une certaine obsession (du fait de ses recherches sur l’arôme de ce cépage), il réveilla ses compagnons de bord; ces derniers confirmèrent que ce vent de terre portait bien l’odeur du sauvignon. Celle-ci disparut aussi brusquement qu’elle était arrivée.
Peu de temps après, alors que la Côte de Cantabria se détachait sur l’horizon, une forte odeur d’eucalyptus apparut. Le voyage se poursuivit jusqu’à bon port avant que le coup de vent annoncé ne rentre dans le Golfe de Gascogne. Revenu à Bordeaux dans son laboratoire, Denis Dubourdieu reprit son travail sur les arômes de plantes présents dans le Sauvignon. En repensant à sa course en mer et à la surprenante succession d’odeurs ressenties à l’approche des côtes espagnoles, il analysa par chromatographie en phase gazeuse un extrait de feuilles d’eucalyptus; il découvrit que cette essence, outre l’eucalyptol, contient certaines molécules clés de l’arôme des vins de Sauvignon. Il comprit pourquoi certains dégustateurs utilisent l’eucalyptus comme descripteur de l’arôme des vins de ce cépage. Il comprit aussi ce qui s’était passé en pleine mer quelques jours plus tôt; le vent du sud passant sur les forêts d’eucalyptus de la côte cantabrique avait séparé, en courant sur l’océan, l’eucalyptol (qui donne à l’eucalyptus son odeur dominante) de la composante minoritaire « buis, genêt » de cet arôme et qui est typique des vins de Sauvignon.
Tous mes remerciements à Denis Dubourdieu pour son accueil.
Choukroun Chicheportiche Jonathan
Château Reynon
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Site des Cadillac Côtes de Bordeaux